Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/65

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une plume à son chapeau rappelait le blanc panache de la bataille d’Ivry. On n’entendait que sa voix dans la maison, que ses appels dans les bois... On m’a changé mon frère ! Il ressemble à quelque Anglais puritain du temps de Cromwell. On viendrait me dire qu’il s’est fait huguenot, je ne m’en étonnerais point. »

Tels étaient les discours de Mlle de Silly à sa jeune camarade, et celle-ci, opinant du bonnet, ne songeait guère à prendre en main la défense de ce beau cavalier, dont la conduite lui semblait véritablement plutôt d’un rustre et d’un mal élevé que d’un porteur d’épée et d’un gentilhomme. Or ces deux jeunes personnes, qui se croyaient bien seules, se faisaient leurs confidences, assises sur les marches d’un pont rustique à l’extrémité du parc, au murmure de l’eau transparente, et celle-ci, non plus que celle-là, était loin de se douter que le jeune homme écoutait malgré lui leur conversation sous l’arche du pont où il s’était arrêté pour voir l’eau couler, ce qui est le signe d’un vrai penchant à la rêverie. A la fin, quand elles eurent bien débité toutes leurs censures, elles s’en revinrent au logis en se tenant par la taille, et l’on voyait à leur attitude que la conversation interrompue avait repris de plus belle.

— Ah ! se disait M. de Silly, quand on est battu quelque part, on l’est partout, et le jour que voici m’apporte une défaite de plus.

Cependant, à l’heure du souper, il entra d’un visage plus riant que d’habitude, et quand il eut salué son père et sa mère, il fit une belle révérence aux jeunes dames. Le repas fut gai ; le vieux seigneur était dans ses bons moments, et comme il était grand amateur de proverbes, il en lâcha deux ou trois coup sur coup au grand contentement des convives.