Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/69

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— Accordez-moi, lui dit-il, l’honneur de la recevoir de vos mains.

Le vieux seigneur, d’une main tremblante d’émotion, posa la croix de Saint-Louis sur la poitrine de son fils, et lui-même il reprit ce cordon rouge dont il s’était dépouillé pour ne pas ajouter à l’humiliation de son enfant. Mais ce fut en vain que le père et la mère priaient le jeune homme de rester encore au château rien que le temps de fêter sa gloire ; en vain que les jeunes filles le supplièrent, de leurs regards muets, de ne point partir si vite : il pétillait d’impatience ; il ne savait comment contenir sa joie ; il baisait les mains de son père et de sa mère en leur disant : « Laissez-moi partir. » Il se voyait déjà à la tête de son régiment ; ou bien il allait saluer le roi à Versailles au sortir de la messe, et le roi l’invitait à Marly ; si c’était le soir à son grand coucher, le roi lui faisait donner le bougeoir, et il éclairait Sa Majesté jusqu’au seuil de sa chambre ; enfin, tous les rêves que peut faire un jeune homme un instant vaincu, prisonnier, désarmé, qui tout d’un coup se voit rappelé sous les drapeaux par la grande voix de la guerre. Il partit donc, accordant à peine un dernier regard à ses deux jeunes camarades, qui le regardaient comme on regarde en songe.

— Il s’en va comme il est venu, disait Élisa à Mlle de Silly.

— Bonsoir à sa compagnie, ajoutait Mlle de Silly. Je ne serai pas longue à me consoler.

Elle songeait qu’en effet son mariage était arrêté avec un jeune seigneur du voisinage, et que son mari l’accompagnerait dans les grands prés, sous les vieux arbres, le long des charmilles auxquelles Élisa disait adieu tout bas pour ne plus les revoir.

Et comme il est écrit qu’un malheur ne vient jamais