Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/79

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et d’abondance était rentré dans ces pieuses demeures, et sitôt qu’il fut permis à ces infortunées de rendre grâces au ciel de leur délivrance, prosternées aux pieds des autels, le nom de Mlle de Launay se trouva sur leurs lèvres reconnaissantes. Tant que la fièvre avait sévi, la nouvelle recluse n’avait pas quitté le lit des malades ; elle était l’espérance et la consolation ; elle fermait les yeux éteints ; elle relevait par ses douces paroles les âmes abattues ; les jeunes filles disaient : Ma sœur ! les révérendes mères lui disaient : Ma fille ! et lorsqu’enfin elle parla de quitter cet asile dont elle avait été la providence, hélas ! que de gémissements et de larmes : « Vous partez ! vous nous quittez ! nous ne vous verrons plus ! » On eût dit que la ruine et la misère allaient revenir dans ces murailles désolées.

Mais quand elle eut déclaré sa volonté formelle, alors toutes ces dames tinrent conseil pour savoir à qui donc elles adresseraient cette fille adoptive. A la fin, il y en eut une, entre autres, qui proposa d’adresser l’orpheline à une dame qui avait appartenu jadis à la belle duchesse de Longueville, une des reines de Paris. Elle s’appelait Mme de La Croisette ; elle était bien vieille, et vivait bien loin du monde, après avoir été la grâce et l’ornement des meilleures compagnies. Que de belles histoires cette vieille dame avait entrevues ! que de mystères elle avait gardés dans sa mémoire ! Avec quel zèle et quelle ardeur elle parlait de son ancienne maîtresse, une digne fille des Condé, l’amie et la complice du cardinal de Retz, héroïne de la Fronde, avec tant d’esprit que son père, le grand Condé, n’en avait pas davantage, et que M. le duc de La Rochefoucauld s’inclinait quand il fallait répondre à Mme la duchesse de Longueville. De ces bonnes gens, pleins de souvenirs, on tire assez volontiers tous les services qu’ils