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Page:Janin - Histoire de la littérature dramatique, t. 1, 1855.djvu/232

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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

pieds, le bras arrondi, la tête penchée, la bouche pleine de vers sonores, se tue d’un grand coup de poignard. — Tu pâlis, malheureux ! s’écrie-t-il ; mais Tibère ne pâlit pas. C’est ainsi que dans une scène antérieure Agrippine s’est écriée : Quel abîme ! Mais Agrippine est trop bonne pour la susdite tragédie ; je ne vois pas où est l’abîme ; au contraire, rien n’est plus clair. Quant au suicide de Cnéius, il inspire tout au plus une certaine pitié à la veuve de Germanicus ; même peu s’en faut que ces deux victimes ne se mettent à s’adorer comme font la Junie et le Britannicus de Racine. Ainsi la déclamation et l’emphase remplissent, de leur sonorité stérile, toute cette vaine tragédie. Ce coup ce poignard final, combien peu il ressemble au suicide improvisé d’Othello, par exemple ! « Un jour, dans Alep, un Turc insolent frappait un « Vénitien, je le pris à la gorge et je le frappai ainsi ! » En fait de suicides, je ne sais rien de plus touchant que cette mort volontaire, qui commence comme un conte de bonne femme. Mais les emphatiques et les impuissants procèdent autrement.

« Si l’on eût bien fait, on eût laissé dans les limbes, cette méchante tragédie d’un style équivoque et d’un intérêt fort contestable. Puisque ! e frère d’André Chénier reposait dans cette tombe qui a dû lui paraître bien douce, après toutes les agitations de sa vie, il fallait le laisser couché là, et ne pas en faire le héros posthume d’une première représentation. Celui-là et tous les autres de sa cohorte, ils sont du nombre des poètes qui ont vécu, ils ne peuvent que gagner à être oubliés, et vus de loin. Ils ont été la queue de Voltaire, mais ils sont restés en chemin pendant que cette comète errante poursuivait sa course en zigzag, dans tous les nuages ardents du ciel irrité. Vie agitée et malheureuse, poésie mêlée de bien et de mal, tragédie entourée de passions et de colères dont le poète rougit plus tard, popularité de tribune et de carrefour, inquiétude qui ressemble aux remords, brûlante satire qui produisait sur les renommées contemporaines l’effet du fer chaud sur les épaules d’un forçat, gloire d’un jour, fugitive comme la gloire, vanités des révolutions et des émeutes, succès vile oubliés, chutes sans rémission, turbulences misérables, une vieillesse découragée, un frère glorieux dont la gloire grandit chaque jour, gloire consacrée par l’échafaud, la gloire d’un poète martyr ! — Et tout cela pour finir par des doutes cruels : de quel côté