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Page:Janin - Histoire de la littérature dramatique, t. 3, Lévy.djvu/310

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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

est malade, les personnages qui l’entourent vivent en effet d’une vie véritable. Chacun d’eux a son visage, son caractère, son esprit, son raisonnement, son doute. Les uns et les autres ils parlent beaucoup, sans conclure ; ainsi fait le vulgaire.

Le roi est un grand faiseur de dissertations redondantes, inutiles ; Polonius est véritablement le courtisan-valet, maître d’école, qui a tant de succès à la cour ; Laërtes est un philosophe de l’école de Sénèque, ampoulé et beau diseur. Le fantôme lui-même, cette ombre qui se dessine d’une façon solennelle à la pâle et douce clarté de la lune du Nord, s’amuse à disserter sur la nature des choses et sur les vertus des plantes : — Famille de rhéteurs, tous ces hommes ; mais les deux femmes de cette longue et touchante élégie, elles sont bien complètement dans leur rôle de femmes.

Gertrude, la reine et la mère, est bien en effet la femme coupable qui se repent, la mère restée veuve qui, par respect autant que par remords, se prosterne aux pieds de son fils devenu le chef de la famille. Ophélie ! elle est, avec Horatio, la providence d’Hamlet. Elle est l’émotion honnête et calme de cette âme en peine, elle est l’espérance et le repos de ce cœur brisé. Otez Ophélie de ce drame, Hamlet n’est plus qu’un fou lamentable, et le voyant s’abandonner à l’ivresse de sa raison épouvantée, personne ne le prendra plus en pitié’.

i. Nul n’a mieux saisi ce trait principal de la physionomie d’Hamlet que Gœthe.— « Quand le fantôme, dit-il, a disparu, que reste-t-il après lui ? un « homme altéré de vengeance ? Non ; c’est un jeune homme que la peur « domine, que le désespoir abat, et dont la douleur se borne à des railleries « amères contre les coupables qui, le sourire sur les lèvres, s’applaudissent « du crime qu’il doit leur faire expier. Hamlet promet de ne jamais oublier le mort chéri qui vient de lui apparaître, voyez cependant par « quelle phrase significative il termine ce serment : « Le temps est sorti « de ses gonds ; ô destinée maudite, que je sois né pour l’y faire rentrer ! » « Ces parole expliquent toute la conduite de Hamlet, et me prouvent que « Shakspeare a voulu nous montrer les angoisses d’une aine chargée de « l’accomplissement d’un devoir au-dessus de ses forces. Cette pensée do<i mine la pièce entière ; on pourrait l’analyser en disant qu’on s’y occupe « à planter un chêne dans un vase précieux, niais propre seulement à con « tenir des Heurs. Les racines de l’arbre s’étendent et le vase se brise.

« Un être noble, pur, éminemment moral, mais dépourvu de l’énei « qui fait les héros, doit succomber sous le poids d’un fardeau qu’il ne peut « ni perler ni rejeter. Ce qu’on lui demande est impossible, non par soi—