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Page:Janin - Histoire de la littérature dramatique, t. 6, 1858.djvu/230

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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

imbécile ; les amateurs ont retenu quelques vers de ce Pradon, qui sont vraiment assez jolis. Songez cependant en les lisant, qu’il ne s’agit pas de la tragédie grecque, mais de sentiments bourgeois, annoblis par l’hôtel de Rambouillet ; ce sont des vers, écrits sur V Album de Julie d’Angcnnes ; car cette cruelle invention de VAlbum^ compte et date de plusieurs siècles.

Phèdre, en ce moment, raconte à sa confidente, Aricie, comment elle avait fait languir tant de princes de la’Grèce, et comment, en voulant subjuguer le superbe Hippolyte, l’amour a triomphé de son cœur :

Mais, dieux : nous méprisons les conquêtes faciles ;
Nous voulons ébranler les cœurs les plus tranquilles,
Et c’est le piège adroit où l’amour nous surprend,
Quand il arme nos yeux, contre un indifférent,
Par orgueil on veut vaincre, on s’attache, on s’oublie,
En voulant l’attendrir, on se trouve attendrie,
Notre fierté commence à nous abandonner,
Et l’on prend de l’amour, lorsqu’on croit le donner.

Cet effort de Pradon ressuscité par madame Dorval, fut un effort malheureux… La tentative de la Phèdre de Racine, fut une tentative avortée. On voulut voir, cependant, si le drame moderne avait rendu les armes à la tragédie antique ? Hélas ! c’était triste à voir, cette désespérée, abandonnant le toit qui l’abritait, les dieux qui la protégeaient, les autels où elle brûlait son encens Son toit est effondré, les dieux sont muets, sur leurs autels renversés. Madame Dorval convenait, en jouant Hermionc ou Phèdre, que cette fois enfin elle était vaincue « Ou dessus, ou dessous », disait la mère Spartiate à son fils, en lui donnant son bouclier.

Donc nous l’avons vue (il me semble que c’était hier) cette éloquente Dorval, la souveraine du drame, tenant par la pointe son poignard émoussé, offrir humblement cette lame inerte à la tragédie, et la tragédie à peine a daigné toucher, d’une main dédaigneuse, celte arme émoussée. Eh quoi ! lorsque, de toutes parts, cette femme est traquée ; à l’heure où son théâtre est renversé, où son drame est en lambeaux, où ses poètes, accablés comme elle, et pour les mômes excès, sous le fardeau des mômes drames, ne savent plus, comme elle, et que faire et que devenir, elle s’en