Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/107

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Cette transformation si subite me fit peur ; je pensai en tremblant que c’était peut-être ainsi que les deux extrémités se touchaient.

Un autre soir, à la fin de la nuit, au commencement du jour, rentrait chez lui un employé subalterne des jeux publics ; il avait pendant dix longues heures contemplé d’un œil sec la ruine et le désespoir de plusieurs familles, et cependant le voilà qui jette son manteau à un pauvre transi de froid.

Ce juste milieu entre le vice et la vertu, entre cette cruelle indifférence et cette subite pitié, m’épouvanta plus encore que le changement à vue de la rue Sainte-Anne.

J’ai vu une femme dans le comptoir d’une loterie ; cette femme était belle et jolie, elle était assise à côté d’un beau jeune homme, et elle écoutait tranquillement ses propos d’amour, pendant que d’un air indifférent elle vendait à de pauvres ouvriers un papier infâme qui devait porter leur misère à son comble.

Cet amour, en présence d’une roue de fortune, me fit soulever le cœur.

J’ai vu un censeur se mettre à son échafaud, retranchant sans pitié une pensée, comme s’il ne s’agissait