Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/13

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Comme c’était là le reproche qui m’était le plus sensible et le défaut dont je rougissais le plus, intérieurement, je tombai aux pieds de mon juge, et, tout tremblant, je lui expliquai comment ce vice dans mon livre n’était pas le vice de mon cœur ; comment il appartenait entièrement au genre que j’avais voulu exploiter ; comment mon but aurait été tout à fait dépassé si j’avais parlé d’autre chose que des choses qui tiennent aux sens ; et à ce propos j’invoquai la poésie descriptive, telle qu’on l’a faite depuis M. Delille jusqu’à nos jours, et je parvins à faire comprendre à mon juge qu’il fallait accuser de cette sécheresse le genre d’émotions auxquelles je m’étais livré dans un moment de désespoir, pour n’y plus revenir, n’en doutez pas.

Ici la conversation devint amicale et plus intime entre moi et mon juge. Je n’étais ni un chef de secte ni un séïde littéraire ; j’étais un de ces simples écrivains qui vont où ils peuvent, qui ne font pas école, qui n’engendrent pas de schismes, dont on s’occupe quand on a le temps, et qui ont autre chose à faire eux-mêmes que de pousser à une renommée à laquelle d’ailleurs ils ont la bonne foi de ne prétendre pas.

Nous eûmes donc, la Critique et moi, une grande dispute sur ce qu’on appelle la vérité dans l’art. Je lui expliquai que, dans le système moderne, le vieil Homère n’aurait pas pu arriver à cette espèce de vérité, par la seule raison qu’Homère était aveugle. Qu’en effet (je parle toujours dans le système moderne), il fallait voir avec les yeux du corps bien plus qu’avec les yeux de l’esprit, pour être dans le vrai ; que