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Page:Janin - La Bretagne, 1844.djvu/122

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fiant et pittoresque dans lequel se rencontrent, comme dans un tableau plein de variété et d’agrément, la besace du moine et le manteau brodé des seigneurs, le bâton du pèlerin et le voile de la jeune fille, la croix du missionnaire et l’épée du capitaine ; le cantique se perd dans les chants du barde ; tel vieillard, courbé sous le poids des ans et du martyre, est accueilli par la dame châtelaine ; et le soir venu, c’est la fille du comte qui lave les pieds fatigués du voyageur. Laissez passer les pèlerins des deux Bretagnes ! Recueillez ces exilés que vous envoie le Dieu de l’Évangile ! Ainsi firent tous les comtes, les seigneurs, les machtierns de la petite Bretagne. Ils acceptaient cette nation, qui venait s’abriter sur leur sol, et ils l’accueillaient justement parce qu’elle était chrétienne. Pas un fief, pas un comté qui n’ait fondé son prieuré, son monastère, son église, pour que ces chrétiens voyageurs y pussent porter à loisir ce qu’ils savaient des sciences divines et de la science humaine. Admirable partage de la civilisation en Bretagne ! en ce moment chacun est à l’œuvre et prépare l’avenir. Le seigneur va se battre à l’armée, le peuple cultive la terre, le moine et le prêtre viennent en aide à tous ceux qui souffrent, le pauvre, l’orphelin, l’ignorant, le vieillard ; le prêtre devient l’arbitre et le conseil de ce peuple en l’absence de ses maîtres, il panse les blessures du corps ; il guérit les maladies de l’âme, et comme il est bien difficile que cette puissance chrétienne et intelligente ne se mêle bientôt aux plus graves affaires de la société civile, il arriva que ces réfugiés de l’Évangile furent reconnus comme une autorité presque souveraine. Par la vie et par les travaux de saint. Félix, évêque de Nantes, on peut comprendre à quel point s’étendait l’autorité d’un évêque dans la Bretagne. À la voix du saint pasteur, un temple s’élève qui était la merveille des Gaules, dit le poëte Fortunatus ; le cours de la Loire est changé ; l’Erdre, au cours tortueux, devient un fleuve obéissant, et court dans un lit creusé par la main des hommes ; le prélat embellit ; agrandit, répare : un roi puissant n’eût pas mieux fait que cet évêque. Dans le conseil du prince la voix de l’évêque est écoutée, car elle parle avec modération et sagesse. L’évêque lui-même est entouré comme un comte de Bretagne, il est prince, il a sa cour, il a son tribunal, sa bannière, son armée, sa terre enfin. Si l’évêque est attendu dans la capitale de son diocèse, on dirait que le roi lui-même est attendu et qu’il arrive dans une pompe toute royale, tant était grand l’empressement et profond le respect des peuples. Dans certaines villes, la ville de Kemper, par exemple, l’évêque était le juge souverain