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Page:Janin - La Bretagne, 1844.djvu/642

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passions. Vous le reconnaissez à son pas assuré et fort, au pen-bas qu’il tient à la main, au terrible terr i ben dont parle Suidas : « Hi sunt illi qui terr i ben vocem vobis in prelio emittunt et comas jactant. »

Allons, courage ! nous entrons dans le pays des fables, des mystères, des tristesses indicibles, des usages consacrés. Nous marchons à travers des monuments sans nom : cercles druidiques, grottes hantées par les esprits, tables de pierre, tombeaux, vestiges sans explication et sans forme. — La forêt druidique est tombée, les pierres sont restées comme pour attester d’une façon confuse quelle religion dominait ce pays de Vannes. — Cette terre désolée va s’abaissant toujours. — Le rivage assombri se découpe en mille parcelles bruyantes. Dans ce pays de Vannes, vous avez à vous étonner des peulvens de Bicuzy, de Quiberon et de Gourin, des menhirs fabuleux de Locmariaker, des dolmens de Sulniac, d’Elven, des signes hiéroglyphiques du Gal-gal de Gavr’innis. — Ce monticule d’Arzon, qui domine l’Océan, c’est une tombe ! — Perdu dans les bruyères, quel est ce coin de l’ancienne Gaule qu’on dirait déposé là par les soldats d’Arminius ? Que de tombeaux ! quelle suite incroyable de pierres funèbres ! c’est Carnac ! — Carnac, le grand mystère inexplicable, inexpliqué.

Pour obtenir quelque peu le secret de ces onze lignes de pierres qui remplissent deux lieues d’étendue, posées sur une base qu’on dirait chancelante et qui se maintiendra jusqu’à la fin des siècles, les savants se sont adressés à l’Égypte, aux Romains, aux Barbares ; ils ont invoqué, tour à tour, Jules César et les divinités infernales… Carnac a gardé le secret de sa sauvage et dédaigneuse grandeur. Cette antique patrie des Vénètes est restée pauvre, stérile et brave ; le pain est remplacé par la bouillie de mil ou d’avoine ; les hommes sont de fer ; ils se rappellent l’antique origine, les vieilles batailles, César étonné de leur courage, ce Clisson impitoyable, le chêne de mi-voie arrosé du sang de Beaumanoir, — et les combats de Charles de Blois et de Montfort, et les premiers pas de Duguesclin, et enfin tout à l’heure, bientôt, la guerre des chouans, la résistance indomptée, qui reparaît comme le génie de la Bretagne ! — Plus que toute autre partie de l’Armorique, les côtes de cette terre assombrie sont plates et dentelées par l’Océan. La baie du Morbihan (petite mer) s’enfonce dans les terres aux environs de Vannes, c’est le mare conclusum de César ; et cette baie renferme, dit-on, autant d’îles que contient de jours l’année bissextile. À peine si chacun de ces îlots nombreux a son nom ; plus d’un îlot renferme sa pierre druidique, son autel de sacrificateur,