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Page:Janin - La Bretagne, 1844.djvu/648

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vrai poëte comique ; il a les nobles instincts de la comédie, il en a l’ironie bienveillante, le dialogue animé, le style net et limpide ; il a étudié à fond les différents états de la vie ; il sait très-bien les mœurs des comédiens et des grands seigneurs, des hommes d’épée et des gens d’église, des étudiants et des belles dames. Il naquit dans la petite ville de Sarzeau le 8 mai 1668 ; cette année-là, Racine faisait jouer les Plaideurs, Molière faisait jouer l’Avare. Le père de Le Sage était un homme quelque peu lettré, comme pouvait l’être un honorable avocat de Bretagne, qui vivait au jour le jour, en grand seigneur, et sans trop s’inquiéter de l’avenir de son fils unique. Le père mourut comme l’enfant n’avait que quatorze ans ; bientôt après le jeune René perdit sa mère, il resta seul, et sa première éducation accomplie, il rencontra ces terribles obstacles qui attendent inévitablement, au sortir de ses études, tout jeune homme sans famille et sans fortune. Car ceux-là surnagent difficilement, à qui la pauvreté fait obstacle, comme l’a dit Juvénal.

Donc, sans autre appui que son talent, sans autre fortune que son esprit, René Le Sage se mit à l’œuvre ; il suivit, tout d’abord, le grand Corneille dans : son admiration pour la langue et pour les chefs-d’œuvre de l’Espagne. Il étudia avec amour cette galanterie souriante, cette jalousie loyale, ces duègnes farouches en apparence, mais au fond si faciles ; ces belles dames élégantes, le pied dans le satin, la tête dans la mantille ; ces charmantes maisons brodées au dehors, silencieuses au dedans ; la fenêtre agaçante, la porte discrète ; sourire par le haut ; en murmurant concert à ses pieds !… Aussi, quand il eut découvert ce nouveau monde poétique dont il allait être le Pizarre et le Fernand Cortès, et dont le grand Corneille était le Christophe Colomb, René Le Sage battit des mains de joie ; dans son noble orgueil, il frappa du pied cette terre des enchantements ; il se mit à lire, avec le ravissement d’un homme qui découvre un nouveau monde, cette admirable épopée du Don Quichotte ; il l’étudia sous son côté gracieux, charmant, poétique, amoureux, faisant un lot à part de la satire et du sarcasme cachés dans ce beau drame, pour s’en servir plus tard, quand il écrirait ses comédies,

Après les premiers essais inévitables, le jeune Breton rencontra enfin la comédie, et avec la comédie, ce merveilleux et impérissable dialogue que l’on peut comparer au dialogue de Molière, non pas pour le naturel peut-être, mais, sans contredit, pour la grâce et l’élégance. Quel bonheur ! il respirait librement dans cet espace qu’il