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JEUNESSE

man d’accepter telle tâche qu’elle m’imposerait par jour, afin que ceci expédié, je pusse compter sur des loisirs certains. Mais maman me répondit en riant que ce système était impraticable, en famille.

— La vie de famille, m’assura-t-elle, est bien différente du couvent où tout est réglé.

Qu’il est pénible, lorsqu’on est jeune, de s’entendre dire qu’on voit la vie tout de travers et que hélas ! on changera bientôt d’opinion…

En parlant de Lydia, papa disait parfois : « Elle n’est pas forte, cela arrive souvent chez les derniers d’une nombreuse famille. » Mais alors, comment expliquer pour Victor, moins âgé de deux ans ? Lydia lui atteignait à peine les yeux. De plus, il était musculeux et jamais malade. Il ne fréquentait pas encore l’école et plus je l’observais, l’ayant sans cesse sous les yeux, plus je le trouvais beau. Il avait les traits extrêmement délicats, un teint de neige et de jus de fraises mêlés, de forts cheveux foncés et les yeux bleus. Dans mon enthousiasme, il m’arrivait de dire à maman : — Je le trouve assez beau, moi, Victor !…

Maman me regardait un instant, comme pour s’assurer de ma sincérité, puis elle secouait la tête, en disant :

— Bah ! il se déguisera en vieillissant.

Chaque fois, ces mots me faisaient froid au cœur, et ensuite, devant ma glace, je me regardais durant de longues minutes, cruellement perplexe. Nous étions du même type, Victor et moi, je ne l’ignorais pas. Avais-je été aussi jolie que lui, petite ? Et