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JEUNESSE

le suivre, comme moi, dès le berceau, et même avant sa naissance, dans son père. J’ai toujours su que le Seigneur se le réserverait sans partage, aussi ne l’ai-je aimé qu’avec un respect craintif. Sa destinée cependant, n’est pas rare. Dieu merci, dans notre pays, les soutanes font pour ainsi dire partie du paysage. C’est une de nos traditions que chaque année, ainsi que dans la catholique Vendée de René Bazin, le Seigneur prélève une forte dîme de jeunes prêtres. J’espérais bien que ma race serait à l’honneur et après avoir été successivement déçue dans mes fils, puis dans Charles et Thérèse, tes aînés, je triomphe enfin avec Jean. Jeune, j’avais voulu moi-même, me consacrer à Dieu. Mais il m’avait refusée ; peut-être à cause de mon orgueil qui est grand.

Pour Jean, le danger différait et dès votre première rencontre, j’ai compris ce que tu deviendrais pour lui ; aussi ai-je veillé jalousement. J’ai été dure pour toi, Marcelle et bien souvent, je m’en suis accusée, au confessionnal. Pourtant, quel héroïsme ne me fallait-il pas pour dominer le dépit que me causaient tes attraits naissants, tes avantages physiques, ton charme d’âme, surtout. Et cette parenté, cette affinité de vos êtres intimes. La vocation de Jean était en jeu, je n’ai rien négligé. Je vous ai épiés, étudiés sans relâche. Jean a toujours eu à mon égard, une confiance presque superstitieuse ; je le savais de conscience délicate aussi, ce qui facilitait ma tâche. Lorsqu’il eut grandi, redoutant de le voir m’échapper à la fin, je lui fis entendre que tu serais mise sur tes gardes, si un seul instant, sa conduite s’écartait du chemin