Page:Jarret - Moisson de souvenirs, 1919.djvu/33

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
35
ENFANCE

fusil ; il voulut essayer de rire, d’abord, puis il murmura :

— Je l’ai pas fait exprès.

Stupide, je ne savais plus où regarder, comme si c’eût été moi la coupable. Jean murmura encore :

— Tu le diras pas, hein ?

Puis, bien humblement, il me demanda pardon et avec un soupir, il vint s’asseoir à côté de moi, sur le sofa. Il avait son visage chiffonné des jours sérieux et sa bouche serrée n’était plus qu’un tout petit trait rose. Nous demeurâmes ainsi quelque temps, gênés, puis Jean ayant mis par hasard, la main sur l’affaire qu’il est temps d’appeler un kaléidoscope, il proposa de me faire voir.

M’ayant placée face à la lumière, il s’agenouilla à mes pieds et tourna lui-même, la plaque mobile du bout. Par moments, il me demandait : « Est-ce que c’est beau ? » ou : « As-tu vu assez ? » Oh ! oui, c’était beau. En un instant, j’eus tout oublié et pour moi, il n’y avait plus rien sur terre, que les petits bâtons de couleur qui se mouvaient, somptueux et corrects en formant les dessins les plus variés. Je me sentais ravie, enthousiasmée, transportée dans un monde irréel où tout était harmonie et couleur. Pour m’arracher à cette extase, il fallut que Jean, qui s’ennuyait, demandât à voir à son tour. Mais un autre projet le travaillait déjà.

— Veux-tu, Marcelle, on va faire un château avec les blocs ?

Quand le château fut construit, avec ses piliers carrés, ses pignons dentelés, grands et petits, Jean se posta à distance et culbuta le tout d’un rapide