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Page:Jarret - Moisson de souvenirs, 1919.djvu/38

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MOISSON DE SOUVENIRS

pour moi, la maison de mon parrain représentait le dernier mot du luxe et puis, surtout, le souvenir de la Toussaint précédente me hantait. Mais, était-ce à cause de tout ce monde qui m’accompagnait aujourd’hui ? Bien que je me reconnusse, mon impression n’était plus la même.

Mes frères restèrent peu à la maison, car ils possédaient des amis, tout plein Maricourt ; Thérèse et Amanda voulurent aussi visiter l’église. Quant à moi, mécréante, je montai à la chambre aux jouets avec Jean et ce fut bien la Toussaint qui recommença. Se surveillait-il afin de mieux préserver son habit de serge blanche ? Craignait-il de gâter ses bottines chocolat ? Jean se montra sage, autant que doux et gentil et il ne retrouva un peu de furia, qu’après avoir revêtu son déguisement de sauvage : alors, secouant sa couronne de plumes, il trépigna, s’enlaidit de grimaces, m’accabla d’injures terribles qui me laissaient perplexe et saisissant mes cheveux à poignée, il finit par me scalper, ou presque. Mais désarmé, sans doute, par ma crânerie, il enleva son accoutrement et nous nous assîmes l’un en face de l’autre, près de la fenêtre donnant sur la rue, regardant dehors et causant.

Incidemment, il se trouva à m’apprendre qu’il prenait des leçons de violon et à ma prière, descendit me chercher l’instrument. C’était un violon d’enfant, mignon, léger : Jean l’appuya à son menton et lentement, avec une pointe d’hésitation, il joua « Au clair de la lune », rien que l’air, ténu, naïf, sans variantes compliquées. Ravie, je lui demandai de chanter en même temps, mais il refusa :