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MOISSON DE SOUVENIRS

réclamais jamais aucune permission spéciale — alors, dis-je, je m’amusais à parcourir mes livres de classe les plus intéressants, ou bien, je rêvais tout en faisant semblant de lire.

Après la lecture, rêver représentait assurément mon passe-temps favori et je connaissais depuis longtemps, le secret de jouer avec mon imagination. S’il m’avait été loisible de le faire, j’aurais aussi crayonné avec passion. Instinctivement, dès que j’avais un crayon en main, je dessinais. Souvent, c’étaient les personnages de mes rêves qui prenaient corps sur le papier : petits garçons et petites filles grands pour leur âge, d’une élégance fluette, avec des jambes grosses comme des cannes de quêteux. Tel était mon idéal. Parfois, j’essayais des natures mortes, des paysages, une feuille sèche volant au vent, une porte ancienne à l’entrée d’un jardin, une rive très calme, toutes choses qui m’apparaissaient par les fenêtres de la salle d’étude. La plupart du temps, je copiais, m’inspirant de mon livre de lecture ou du dictionnaire. Dans ce dernier, je manifestais une prédilection marquée pour la recluse de Ville-Marie, Mlle Le Ber. Je la réussis si bien, à mon avis, que je ne cessai de la répéter jusqu’à la savoir par cœur.

Le jour de la sortie, veille du Premier de l’an, grand-père vint me chercher en sleigh, comme lorsque j’étais petite et ayant revêtu mon tablier à manches, j’aidai grand’mère et tante Louise, dans les apprêts du lendemain. Mes frères couchaient au collège et nous les attendions pour le Jour de l’an même, avec la famille de mon oncle Ambroise. Que j’aurais aimé, attendre au lendemain, moi aussi,