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Page:Jarret - Moisson de souvenirs, 1919.djvu/8

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MOISSON DE SOUVENIRS

Malgré ses airs fantoches, c’était au fond, un petit cœur tendre et craintif et je crois qu’en cela surtout résidait son grand charme. Il possédait à un haut degré, le sens de l’honneur. Mes grands-parents en raffolaient. Tante Louise, parfois exaspérée par ses espiègleries, ne savait pas résister à son repentir. Enfin, je dois dire encore, car c’est la vérité, qu’il était orgueilleux à un degré rare.

Lorsque, au couvent, me prenait l’ennui de chez nous, ou que je subissais quelque gronderie, quelque déception, gros chagrins qui pèsent lourd sur le petit cœur des enfants, je pensais aux miens, c’est vrai, mais aussi, à Jean. Je me disais : « S’il arrivait donc une lettre de Lowell ! » Mais j’ajoutais : « Au moins, Jean viendra-t-il au parloir, dimanche ? » Et maintenant que nous étions réunis, j’hésitais à entamer mes confidences, par crainte, j’en suis sûre, de le voir se faire grave. Jean sérieux devenait méconnaissable. Peut-être cela provenait-il du défaut de ses yeux, ou de la mièvrerie de sa bouche ? Mais alors, toute son enfantine figure revêtait une expression de mélancolie infinie ; il devenait trop bon, trop doux. Ainsi était-il, lorsqu’il chantait et cela me brisait le cœur et je ne pouvais le supporter. En vérité, j’aurais préféré, je crois, qu’il fît toujours le bouffon.

Cet après-midi, je pus donc me satisfaire, car nous entreprîmes une dissipation monstre. Nous jouâmes à tous les jeux connus et à connaître. Et c’étaient des rires sans fin, des appels bruyants, des courses à travers la maison fraîchement embellie par un grand nettoyage ; les meubles étaient