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Page:Jarret - Moisson de souvenirs, 1919.djvu/89

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ADOLESCENCE

— Dites ce que vous voudrez, Marcelle, si je vous avais gardée avec moi, vous auriez fini votre cours, à l’heure qu’il est.

J’en aurais été trop fâchée, car mon couvent me devenait de plus en plus cher et j’en goûtais, parfois jusqu’au ravissement, la poésie diverse, les silences prolongés, les chers labeurs.

Nous passâmes encore le Jour de l’an en famille, chez grand’mère et… Jean ne vint pas. Si j’avais lu Longfellow, je me serais comparée à la malheureuse Évangéline si tragiquement et si longuement privée de son bien-aimé après la Dispersion.

Parmi les petites Américaines de cette année, s’en trouvait une de sept ans, que sa mère, veuve et obligée de travailler, avait confiée aux religieuses avec d’instantes recommandations, car elle ne possédait plus que cette enfant au monde. Après le Jour de l’an, la petite fille se plaignit de sa gorge. De loin, je lui faisais vis-à-vis, au réfectoire et je me rappelle l’avoir remarquée : appuyée au dossier de sa chaise, elle ne mangeait pas, et machinalement, avec une légère grimace, elle se tenait la gorge. Le docteur, appelé, déclara la diphtérie et qu’il fallait isoler l’enfant. Au bout de quelques jours, elle était morte, sans avoir revu sa mère. Elle se nommait Cora, était bonne, douce et avait un petit minois brun, grand comme la main.

En dépit des précautions, la contagion se répandit vite et les élèves tombant malades, les unes après les autres, le couvent ferma ses portes. Il eût été bien inutile de payer mon passage pour Montréal et grand-père vint me chercher. Je ne craignais pas la diphtérie. À six ans, j’en avais