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ENFANCE

dérangés, les petits tapis ronds que grand’mère confectionnait elle-même avec des languettes de drap, se roulaient sous nos pas et semblaient nous poursuivre. Quelquefois, à bout de souffle, je me laissais choir sur le premier siège venu ; mais ce n’était pas seulement l’animation du plaisir qui faisait monter cette chaleur à mes joues, un peu la honte aussi, et tandis que je m’efforçais de reprendre haleine, je songeais : « Si maman me voyait ! »

Quand fut venue l’heure des beignes, Jean alla trouver grand’mère dans la cuisine et prenant un coin de son tablier qu’il tordait et détordait entre ses doigts nerveux, l’air bien humble, avec son petit œil levé et de sa voix extraordinaire :

— Grand’mère, murmura-t-il, tu veux pas que je fasse les beignes ?

Grand’mère l’enleva de terre, sans un mot, puis elle le baisa, d’abord sur ses beaux cheveux doux, en le serrant si fort sur sa poitrine, que je craignais de le voir disparaître. Quel transport dans ses yeux ! Quelle ivresse sur toute sa figure ! Elle ne se croyait pas observée, Jean non plus qui m’avait défendu de le suivre, sans quoi, elle ne se fût jamais permis cette caresse passionnée.

Nous avions promis de nous coucher aussitôt après la cérémonie des beignes ; il fallut bien tenir parole. Je l’ai dit : Jean était homme d’honneur et moi, je suivais toujours Jean. Tante me cédait son lit et Jean couchait de l’autre côté d’un énorme paravent de cretonne verte, fixé au plancher. Le sommeil ne se pressant pas de venir, nous songeâmes à la Fête qui commencerait cette nuit même, qui était toute proche de nous, et naïvement, nous nous entre-