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l’amour en visites

Manon bondit, lâche la poudre et le fard. Elle ramasse ses jupes comme une petite qui va sauter à la corde ; elle court, renversant des meubles, se jette dans le salon et s’arrête dans un éclat de rire.

« Mais il dort, ce chéri ! »

Il ne dort que d’un œil. Il rêve qu’en vue d’une île verte son bateau stoppe brusquement. Il est au port. Tous les passagers ont péri, car il les a jetés, un à un, au crocodile pour s’en débarrasser. Le dernier hurlait comme un simple âne, et, selon l’usage, il lui a fichu un coup d’aviron sur la tête afin de l’étourdir et de le mieux sauver ensuite, les noyés ne pouvant s’aisément repêcher que déjà morts. Une seconde potiche ayant éclaté, il a ouvert les deux yeux.

Manon se tord.

« C’est que c’est vrai ! Il est complètement saoul ! »

Elle marche sur les débris de porcelaines et elle les piétine joyeusement.

À la bonne heure ! C’est pas du toc ! Il se croit dans une maison de tolérance, le gosse, et elle est décidée à tout tolérer. Elle l’admire,