Aller au contenu

Page:Jarry - L’Amour en visites, 1898.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
37
l’amour en visites

s’avoue que c’est bien ce qu’elle attendait.

« Il a l’air d’un enfant. Il est mignon. Chéri ! Voulez-vous faire un peu risette à votre mère ! »

Elle est à genoux. Lui, subitement dégrisé, se lève. Comment est il venu dans ce salon ? Pourquoi ces potiches brisées ? Et cette femme qui le regarde, par terre, toute vêtue de dentelles ? Mais c’est Manon, la célèbre Manon, la grande grue ! Manon dont les nuits coûtent cinquante louis… et l’obsession de l’escalier lui revient, il bredouille :

« Cinquante et une marches ! nom de… — j’y suis ! »

Puis, très réservé, sur un ton d’homme qui sait son monde :

« Excusez-moi, chère madame, j’ai un mal de plafond… vous ne pouvez pas vous faire une idée de ça. J’ai dîné avec des amis qui partaient pour la Crète, et alors (sourire confidentiel) on a bu à la santé des Turcs ! J’aurais pas dû venir. »

Il se sent idiot et, en même temps, la poitrine d’un libre… oh ! d’un libre… en effet, sa chemise est ouverte, un air tiède le caresse, ça le chatouille comme des plumes.