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LES CINQ SENS

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Le Tact

Roulé dans une serviette comme dans un petit linceul la momie d’un singe, je l’emporte à travers l’ombre visqueuse dont mon passage écarte les rideaux mous. Et les muscles doivent se faire plus forts pour marcher dans cette obscurité, qui repousse les corps comme l’eau le liège. Mes pieds reçoivent des dalles un frôlement douloureux, et la lime du granit vient mordre les semelles. J’étends les bras pour écarter l’ombre jusqu’aux murs de la salle, et mes doigts se heurtent à de longs cylindres irréguliers. À droite et à gauche il faut ranger les os branchus, et parfois la main s’effraie au contact flasque de poitrines desséchées : l’écorce des momies tombe, par plaques, comme d’un platane ; et peut-être vont s’attacher Amoi, émergées de ces arbres brunis, les dryades