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Discours du Citoyen JAURÈS


Citoyens,

Le plus grand plaisir que vous puissiez nous faire, ce n’est pas de nous acclamer, c’est de nous écouter. C’est un grand honneur pour le Parti Socialiste d’instituer des débats comme celui de ce soir et je crois pouvoir dire qu’il est le seul parti qui ait assez de foi dans la puissance de ses principes, pour instituer ainsi entre ses militants un débat politique.

Nous n’avons rien à cacher, nous sommes le parti de la discipline dans l’action, prêt à nous incliner toujours pour la conduite à tenir devant la décision régulière du parti organisé, mais nous sommes en même temps le parti de la liberté, toujours à l’éveil sur les meilleurs moyens d’émanciper le prolétariat.

Je suis venu m’expliquer ici sans violence aucune, mais sans aucune réticence.


L’ORIGINE DU DISSENTIMENT

D’où est né, quand et comment, le dissentiment entre Guesde et moi ? Et quand je dis Guesde et moi, il est bien entendu qu’il ne s’agit pas d’une misérable querelle personnelle. Le débat, le dissentiment entre nous est bien plus noble et en même temps plus grave, puisqu’il s’agit, non pas de vieilles et odieuses rivalités dont ont parlé nos ennemis communs, mais d’un dissentiment de tactique et de méthode que nous avons le devoir de soumettre au Parti et que le Parti jugera souverainement ! (Bravos.) Eh bien ! quand donc est né ce dissentiment ? On a dit, on a répété qu’il a pris naissance à l’entrée d’un socialiste dans un ministère bourgeois, et, en effet, cet événement a aggravé, a accusé les dissentiments de méthode qui existaient déjà et je m’expliquerai bientôt là-dessus, mais il ne l’a point créé. Le dissentiment existait déjà, il s’était déjà manifesté à propos de l’affaire Dreyfus.

Vous vous rappelez, en effet, que, pendant que plusieurs de nos compagnons de lutte et moi, nous étions engagés dans cette bataille, résolus à la mener jusqu’au bout, il apparut, dès le mois de juillet 1898, un manifeste du Conseil National de nos camarades du Parti Ouvrier Français et ce manifeste avertissait les travailleurs, avertissait les prolétaires de ne pas s’engager trop avant dans cette bataille et de réserver leurs forces pour la lutte de classe.

Plus tard, quand parut le manifeste retentissant au lendemain de l’entrée de Millerand dans le ministère, le manifeste déclarait qu’il était du devoir des socialistes, non pas seulement de parer à cet événement particulier, mais de corriger, de redresser des déviations qui, d’après le manifeste, remontaient à deux années au moins. C’était encore une condamnation nouvelle de la tactique que plusieurs d’entre nous avions suivie, à propos de l’affaire Dreyfus.

Et plus récemment, dans le discours qu’il prononçait à la mort de Liebknetch, dans la salle Vantier, Guesde, revenant sur cette question redoutable, déclarait une fois de plus, que nous avions eu tort d’entrer dans une bataille mal engagée, — que nous avions ainsi servi les intérêts du nationalisme, que c’était à la bourgeoisie à réparer les erreurs de la société bourgeoise et qu’enfin, par cette lutte, nous avions déserté le terrain de la lutte de classe. J’ai donc le droit de dire, sans que nul puisse me démentir que ce n’est pas à propos de la question Millerand que le dissentiment des méthodes s’est produit pour la première fois entre nous, mais que c’est à propos de l’affaire