Page:Jaurès - Action socialiste I.djvu/332

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séduisante. Je crains qu’elle ne cache un péril. Voici des jeunes gens, ayant une forte instruction scientifique et historique, et, de plus, la vocation militaire : ils veulent être officiers. Vous en faites d’abord des soldats : c’est excellent ; il est bon qu’ils s’habituent aux épreuves, en quelque sorte, matérielles, du métier ; il leur sera peut-être plus aisé ensuite de maintenir avec autorité la rude discipline qu’ils auront subie. Mais vient l’heure où ils entrent à l’école normale militaire, où, à leur esprit jeune, impatient, avide d’un savoir nouveau, vous allez offrir un aliment ; et cet aliment, que sera-t-il ? Des notions déjà depuis longtemps acquises par eux. Leur intelligence veut marcher ; vous la traînez dans une ornière ; vous la faites repasser par les chemins qu’elle a cent fois rebattus. Je redoute pour les esprits ardents ce défilé de monotonie et de redites, cette épreuve de dégoût intellectuel où ils pourraient bien laisser leur flamme ; qui sait combien de forces vives perdra l’armée, lorsque, en dépit de leur culture préalable, les intelligences les plus hautes passeront sous ce joug de médiocrité et d’ennui ?

Encore une fois, ce n’est pas là une fin de non-recevoir absolue que j’oppose à la transformation projetée : c’est une crainte que j’exprime. Il se peut qu’elle soit excessive, et que certaines nouveautés techniques, mêlées à cette sorte d’enseignement primaire de l’armée, suffisent à tenir en haleine les esprits, pendant un an.