Page:Jaurès - Action socialiste I.djvu/371

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diraient que le grand mal dont souffre l’Allemagne c’est l’annexion brutale de l’Alsace-Lorraine, que les ouvriers français sont les frères des ouvriers allemands, que le véritable ennemi c’est le privilège capitaliste et la féodalité militaire, et qu’il faut, du même coup, émanciper tous les prolétaires et réconcilier toutes les nations par la justice ? Qui eût dit, surtout, que ces hardis parleurs recueilleraient, dans l’empire allemand militarisé, plus d’un million de suffrages ? Et n’y a-t-il pas quelque chose de saisissant à voir qu’à Strasbourg il n’y a eu d’autre candidat de la protestation française qu’un ouvrier saxon du nom de Bebel ?

Il est certain que, sans le voisinage de la France républicaine, le mouvement socialiste ne se fût pas développé en Allemagne comme il l’a fait. Si les ouvriers français n’étaient pas libres, s’ils ne pouvaient pas se syndiquer, s’associer, s’ils étaient toujours sous la surveillance et sous la main de la police, les ouvriers socialistes allemands auraient moins de cœur à lutter contre les lois d’exception qui les oppriment ; il s’établirait d’un pays à l’autre une communication et comme un niveau de servitude. Si la grandeur pacifique de l’Exposition universelle n’avait éclaté à tous les esprits, le caporalisme féodal serait moins odieux aux ouvriers de l’Allemagne ; si la France, à l’occasion de l’Exposition, n’avait pas accueilli le congrès international des ouvriers, qui a rédigé, cent ans après 89, les cahiers du