Page:Jaurès - Action socialiste I.djvu/455

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la fascination séculaire du pouvoir personnel, et que, n’ayant plus en France même que des idoles déconsidérées, ridicules et pourries, il attend avec une curiosité dévote la grande idole du Nord, moscovite et byzantine ? — Non, certes ; et si le peuple est fatigué de ses dirigeants, il n’est fatigué ni de la République, ni de sa propre souveraineté ; les ouvriers mêmes qui, entraînés par je ne sais quelle force obscure, acclament le tsar, autocrate et persécuteur des prolétaires russes, défendraient la liberté républicaine.

Qu’y a-t-il donc au fond de la conscience populaire ? Quelque tristesse que nous cause, à nous socialistes, l’aveugle empressement des foules vers la Russie, il me déplaît de penser qu’il n’y a, dans tout ce qui se prépare, que vanité théâtrale plate et vide de badauderie : même en ses erreurs, même en ses illusions, le peuple de France retient assurément quelque grandeur. Que veut-il donc, et pourquoi, contre tout bon sens, contre toute raison, semble-t-il visité par un beau rêve, soulevé par un vague et puissant espoir ? C’est qu’il n’a pu trouver depuis vingt ans le noble emploi de sa force ; c’est qu’il n’a trouvé, ni dans la contrefaçon de la République qu’il subit, ni dans les lointaines expéditions mal conduites, une expansion de son âme et une consolation à son orgueil blessé ; c’est qu’entre les vieux partis impuissants et corrom-