Page:Jaurès - Action socialiste I.djvu/59

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force de l’intelligence, de la science, de l’activité, de la probité, ce jour-là, faute d’espérance, c’est-à-dire d’aliment, les facultés essentielles de notre race s’épuiseraient. Notre peuple ferait place à je ne sais quelle immense plèbe traînant, sous la redingote de l’employé éteint comme sous le bourgeron de l’ouvrier dompté, le même désenchantement, le même avilissement. Elle serait, de temps à autre, secouée par des réveils de convoitise et de démagogie furieuse ou plate ; elle aurait perdu, avec le respect du travail considéré désormais comme l’esclavage indéfini, le respect d’elle-même et de la vie.

J’entends souvent des esprits superficiels dire : « Tout le mal vient de l’éducation qui est donnée par l’Université à la bourgeoisie française. On veut faire de tous ces jeunes gens des lettrés, des savants, des artistes, des bureaucrates ; on ne leur donne ni le goût du commerce et de l’industrie, ni les connaissances pratiques ; par là, on fait des inutiles et des déclassés. »

Hé ! Messieurs ! prenez-y garde ; ce qui fait des déclassés, dans la bourgeoisie française, ce n’est pas la puissance de l’instruction, c’est la puissance abusive du capital. Vous leur dites : Marchez, allez sur tous les chemins du travail, — et, sur tous ces chemins, se dresse, comme un obstacle infranchissable, la puissance brute