Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/102

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incomplets tant qu’ils ne s’achèvent pas par un progrès des sens. De même qu’au matin les profondeurs grises de l’espace, à mesure que le soleil monte, s’animent d’une lueur bleue ; de même, à mesure que la vérité s’élève, les profondeurs grises de la pensée abstraite s’illuminent pour les sens. C’est donc ce qu’on appelle le monde naturel qui est, en effet, pour les âmes, le monde vrai et définitif. Elles sont dès maintenant dans la carrière. Les merveilleuses visions du Dante peuvent s’incorporer au monde réel : les sphères supérieures de pensée et de vie prendront place dans la série illimitée des sphères naturelles reliées par les lois du mouvement, ou plutôt, ce sont celles de ces sphères qui seront le plus brûlantes de pensée et d’amour qui rayonneront les premières, comme l’anneau le plus ardent d’une chaîne inégalement échauffée. Ce n’est pas hors de la nature que les âmes trouveront l’état supérieur et divin : elles élèveront la nature elle-même à cet état, et d’innombrables yeux de chair verront tourner les cercles de lumière divine dans la profondeur réelle des nuits.

Il n’est pas étrange, le mouvement étant l’acte infini qui se déploie dans la puissance infinie, que l’ordre du mouvement se concilie avec le progrès illimité. Dans quel sens faut-il donc entendre que la quantité du mouvement reste toujours la même dans le monde ? Il est évident que, pour comprendre cette proposition, il faut ramener le mouvement à la quantité pure, car la forme et la direction des mouvements particuliers varient sans cesse. Il faut donc faire abstraction de toute forme déterminée, de toute direction particulière.

Le mouvement n’est plus alors qu’une relation abstraite d’espace à espace. De même, il faut dépouiller les corps auxquels s’applique le mouvement de toute