Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/138

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père que nous en démontrerons la fausseté ; mais dans tous les cas, le mécanisme est obligé d’avouer, ou bien que le rapport du temps à l’espace a son fondement dans les centres même de forces qui sont en jeu, dans les sujets du mouvement ; et alors l’intérieur même des forces est modifié par un changement de vitesse : il y a un nouvel état interne des énergies, des forces, des consciences ; et le mouvement même, incorporé ainsi à des réalités internes qui se modifient quand il se modifie, qui changent quand il change, n’est plus purement mécanique. Ou bien, le mécanisme est obligé d’avouer que les rapports du temps à l’espace, c’est-à-dire les vitesses, n’existent que dans l’entendement humain, c’est-à-dire que le monde tout entier, réduit au mouvement, dépend de l’esprit qui donne aux mouvements leurs déterminations essentielles, leur sens et leur loi. Or, si l’esprit est puissance d’unité, ce n’est point d’une unité abstraite et quantitative ; et s’il introduit, dans les rapports du temps et de l’espace qui règlent le mouvement, des différences innombrables, ce n’est pas pour établir une graduation numérique : c’est pour exprimer des idées différentes ; c’est pour traduire dans l’ordre mécanique des fonctions distinctes de cette unité variée qui est la pensée même. Ainsi, quelle que soit l’hypothèse adoptée, que ce soit l’hypothèse objective, qui, interprétée, est la nôtre, ou l’hypothèse subjective, il apparaît que la quantité ne suffit pas à soutenir le mouvement. Ce rapport étrange et impalpable du temps à l’espace, qui est la vitesse, nous transporte insensiblement dans la sphère de la pensée. Il nous faut, pour lui donner une réalité, ou bien le nouer dans l’intimité même des forces agissantes, ou bien le fonder, et le monde tout entier avec lui, sur la réalité