Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

localisation, à la bonne heure : il y a là quelques menues lois à constater et à discuter. Mais, s’il prétend fonder par cette synthèse l’idée même d’espace, qu’il démontre, d’abord, que le sentiment de l’innervation n’implique pas le sentiment du corps et de ses organes, c’est-à-dire de l’étendue. Toutes ces entreprises de la psychologie physiologique ne sont guère qu’un amalgame confus de formules kantiennes mal comprises et d’hypothèses aussi dépourvues jusqu’ici de preuve que de portée.

Mais il ne suffit pas à notre dessein d’établir qu’en fait l’on ne peut pas ramener la sensation à l’inétendu ; il nous faut établir encore, qu’en droit et nécessairement, la sensation implique l’étendue.

Tout d’abord, il serait impossible de passer de la sensation inétendue à l’étendue si la quantité n’était pas essentielle et comme intérieure à la sensation. En effet, les sensations d’un même ordre peuvent se combiner les unes avec les autres : deux sons peuvent se fondre en un son unique ; des couleurs et des nuances de couleurs peuvent se fondre en une couleur unique. Dès lors, comment pourrait-on distribuer dans l’étendue les sons, les couleurs, les clartés ? Si toutes les couleurs présentes à un même moment dans la conscience se sont fondues en une seule, selon quelles règles décomposera-t-on celle-ci pour la distribuer dans l’espace en couleurs diverses ? On peut la décomposer en mille manières différentes. Dira-t-on que les sensations diverses qui doivent occuper plus tard des points distincts de l’étendue sont qualitativement distinctes dans la conscience ? Soit ; mais comment s’opère cette distinction ? La qualité des sensations comme telle n’y suffit pas ; il n’est pas dans la nature du rouge comme tel d’être