Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/153

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nité immuable que l’espace, c’est-à-dire la quantité, communique à la lumière, bien au-dessus des combinaisons changeantes des forces périssables.

Du son aussi, comme de la lumière, l’espace fait une fonction indépendante de l’être, antérieure en un sens, et supérieure à tous les centres de vibration qui résonnent par elle. Certes, la quantité extensive assure et peut seule assurer la distinction, l’individualité des forces vibrantes. Sans elle, nous l’avons vu, tous les sons s’ajouteraient les uns aux autres et se fondraient en une résultante unique. Par elle, l’imperceptible murmure du brin d’herbe se distingue, pour la conscience attentive, du grondement de la forêt. Il faut bien, d’ailleurs, qu’il en soit ainsi, l’essence même du son étant de manifester l’intimité des forces et des existences. Mais cette puissance d’expression et de révélation intime, les êtres ne l’ont pas créée : ils la trouvent en quelque sorte toute faite, et ils s’en servent. Les premières herbes qui, sur la terre verdissante, ont ondulé et frémi ne savaient pas qu’elles livraient le tressaillement secret de leur vie à une douce puissance qui le répandrait au loin. Oh ! sans doute, elles avaient je ne sais quel besoin obscur de communication et d’expansion, et c’est là l’âme du son ; mais ce besoin même, comment l’auraient-elles connu, si elles ne s’étaient senties comme enveloppées d’influences amies, et si le premier souffle passant sur elles n’avait associé leur frisson au frisson de l’espace ? Les premiers êtres qui, connaissant la joie, la douleur, l’amour, ont crié, murmuré ou chanté, cédaient aussi à un besoin intime et profond de communication ; et c’est sous l’action presque aveugle de ce besoin que leur organisme vibrait à l’unisson de leur âme, et ébranlait le dehors à l’image