Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/155

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tils qui s’évaporent des plantes se convertissent en rosée dans la fraîcheur des nuits sereines, les vagues tendresses qui montent des êtres se convertissent en harmonies dans la douceur des nuits musicales.

Or, par l’espace, par la quantité extensive, les êtres sentent résonner hors d’eux le son émis par eux, et ils sont avertis par là que le son est en un sens une puissance extérieure à eux, indépendante et antérieure. De plus, à peine émis, le son, même s’il exprime l’âme, échappe au gouvernement de l’âme : il tombe sous les lois de la quantité ; il se propage avec une vitesse définie selon les milieux ; il s’amortit et s’éteint suivant les distances. La parole indifférente et le cri passionné traversent l’espace du même vol. Enfin, le son ne change pas seulement de degré avec la distance : il change aussi d’accent. La brutalité joyeuse des cloches prochaines s’adoucit et s’élargit, dans les horizons lointains, en une mélancolique chanson. Ainsi, la quantité tient le son sous sa loi : le son vit donc, lui aussi, en une certaine mesure, dans la quantité, et par là, quoiqu’il jaillisse toujours des forces individuelles ébranlées, il marque son indépendance de chacune de ces forces et atteste son caractère éternel. Il y a donc, selon le langage platonicien, une idée du son comme il y a une idée de la lumière, et, bien loin que la quantité extensive soit étrangère à cette idée, c’est par elle que cette idée s’affirme.

Il semble bien, sans doute, que la quantité intensive soit beaucoup plus intérieure à la sensation : le degré d’une sensation, c’est, en un sens, cette sensation elle-même. Mais, si l’on y regarde de près, on verra que la quantité intensive ne peut avoir de sens et exister que par la quantité extensive. Lorsque deux sensations ne