Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/165

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de force à force sans l’intermédiaire de la quantité et de l’espace, l’âme, selon qu’elle s’approprierait des forces aveugles pour ses jouissances, ou des forces conscientes pour son orgueil, distinguerait en elle-même l’amour de la richesse et l’amour du pouvoir. Je n’essaie donc nullement de faire entrer la représentation extensive des objets du désir dans l’essence même du désir ; je ne définis pas le dedans par le dehors, mais enfin, dans les conditions de perception et d’activité qui nous sont faites, il est certain que l’espèce de nos désirs se précise pour nous par les objets qui leur correspondent dans l’étendue. Je sais mieux, ou si vous voulez, je sens mieux ce que c’est que la richesse quand je me représente de beaux édifices, de belles demeures, de beaux jardins, une large existence. Je sens mieux ce que c’est que le pouvoir, lorsque je me représente la foule des hommes que règle ma volonté. De la sorte, les représentations extensives, quantitatives sont mêlées à tous mes sentiments, à tous mes désirs. Bien plus, mes sentiments et mes désirs varient selon ces représentations ; il n’est pas indifférent à la superbe du riche qu’il possède un palais ou plusieurs, un parc qui n’est que vaste et beau, ou un parc qui est immense et splendide. Il n’est pas indifférent à l’orgueil du despote qu’il manie à son caprice une tribu ou des peuples innombrables comme ceux de Xerxès. Assurément, il n’y a aucune proportion mathématique entre le chiffre de la richesse et l’orgueil de la richesse, entre le nombre des sujets et l’orgueil du pouvoir. Tel alcade espagnol peut avoir l’attitude hautaine de Charles-Quint ; mais aussi il est ridicule. Et pourquoi le jugeons-nous tel, sinon parce que nous pensons qu’en effet la quantité de pouvoir qu’exerce un homme doit mesurer en quelque façon