Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/167

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au contraire, où nous ne produisons pas davantage, où nous ne mettons ni plus d’ordre ni plus de force dans nos pensées, et où cependant nous sentons en nous comme une plénitude intellectuelle. Des malades en qui on ne peut surprendre ni défaillances, ni ralentissement de mémoire, de raisonnement ou de parole, se plaignent d’avoir la tête vide. Qu’est-ce à dire ? il manque à chacune de leurs pensées cette abondance de vie par où elle communique avec l’activité de l’organisme cérébral ; il y a, dès lors, le sentiment d’une lacune, d’un creux. Mais qu’est-ce que tout cela, sinon des variations de quantité qui ne sont pas perçues exclusivement comme telles, mais par qui, cependant, la quantité agit en nous ?

M. Bergson a le droit de nous demander pourquoi des variations de quantité dans nos sentiments ne sont pas perçues par nous exclusivement comme des variations de quantité. Pourquoi un sentiment ne peut-il croître sans se transformer, de même qu’un métal ne peut être porté à une température plus haute sans changer d’aspect ? C’est que, comme nous l’avons vu, la quantité n’existe pas pour elle-même ; la puissance d’être que la quantité exprime n’a été produite qu’en vue de l’acte. La quantité n’existe que dans des forces, dans des centres d’action, et par là elle ne peut varier dans chacun de ces centres sans modifier son rapport aux autres, sans amener, par conséquent, en lui un changement d’état ou de qualité. Nous avons vu qu’il ne pouvait y avoir de forme distincte de mouvement capable de se survivre à elle-même en des combinaisons sans terme avec d’autres formes de mouvement, si chaque forme de mouvement n’avait sa quantité définie. Quand deux formes de mouvement sont en présence, modifier la