Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/174

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dans l’autre. Sur quoi jugez-vous donc, sinon sur la sensation elle-même ? Mais il y a mieux. Donnez à une balle de laine l’aspect d’une caisse de tôle à s’y tromper, et laissez-la tomber sur le pavé. Si nous jugeons de l’intensité de nos sensations par leurs causes, nous devrons entendre un terrible fracas.

Pour la lumière surtout, nous ne pouvons pas percevoir la cause physique de la sensation dépouillée de la sensation elle-même. M. Bergson nous dit : La sensation de lumière produite par cinq bougies n’est pas moindre que la sensation de lumière produite par dix bougies ; elle est autre, et si nous la jugeons moindre, c’est que nous savons, par expérience, que cette qualité nouvelle de lumière correspond à un nombre moindre de bougies. Mais, je vous prie, est-ce que les bougies que nous voyons allumées sont la cause physique de la sensation ? Elles sont déjà la sensation elle-même, ou, tout au moins, une partie de la sensation. C’est d’elles que la lumière rayonne, mais elles sont elles-mêmes lumière, et, lorsqu’on les éteint, on ne supprime pas seulement une cause de sensation : on supprime une sensation, une certaine quantité de sensation, et il est dès lors tout naturel que nous constations dans l’effet total une diminution. Mais cela est naturel, parce qu’il n’y a jamais eu un moment où la dissociation qu’imagine M. Bergson entre la cause physique quantitative et la sensation, qualité pure, ait existé.

D’ailleurs, si, au moment où l’on éteint cinq bougies sur dix, les cinq suivantes doublaient d’éclat, l’effet total d’éclairement ne varierait point. Donc, pour décider que le changement de qualité survenu dans la lumière, après l’extinction des cinq bougies, correspond à une diminution de quantité, il nous faut juger que les