Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/177

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mais comment pouvons-nous faire cette opération, si nous ne sommes pas immédiatement avertis, par les sensations A, B et C, du nombre d’états de sensations que l’on peut intercaler entre elles ? Ce n’est pas à la suite de tâtonnements minutieux que nous jugeons de l’écart approximatif de deux intensités lumineuses ; mais c’est sur cet écart approximatif, perçu tout d’abord, que nous nous réglons pour distribuer les sensations intermédiaires dans les intervalles. D’ailleurs, à supposer que, pour aller de A à B, il faille passer par un certain nombre d’étapes, ni A, ni B, ni C n’apparaissent cependant à la conscience comme une collection d’étapes parcourues. Les étapes que l’on parcourt avant d’arriver au gîte, on ne les retrouve pas ramassées au gîte. Or, les états intermédiaires entre A et B sont, en quelque façon, présents dans B. Lorsque la conscience évolue de A à B, renforçant de degré en degré l’éclat de la nuance grise, elle n’abandonne pas les nuances créées par elle au fur et à mesure qu’elle les crée ; elle les incorpore à la nuance nouvelle plus intense. Mais ce n’est pas tout. Nous pouvons demander à M. Bergson ce que sont ces étapes de sensations et comment elles sont possibles. Il y a, entre la sensation A et la sensation B, des sensations intermédiaires ; ces sensations, pour pouvoir être nombrées suivant les exigences de la théorie, doivent être distinctes, et, pour être distinctes, il faut qu’elles soient séparées les unes des autres par certains intervalles. Mais qu’est-ce donc qu’un intervalle entre deux qualités ? Ou cela n’a aucun sens, ou cela signifie que nous pouvons, au moins par la pensée, supposer entre ces deux qualités d’autres qualités intermédiaires. Donc M. Bergson reconnaît implicitement que les sensations discontinues, en fait, pour notre conscience, sont