Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/183

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’enlever dans l’espace. M. Bergson, cédant encore ici à son système, ne peut expliquer ces relations de qualité et de position que par des coïncidences tout extérieures ; les notes élevées sont davantage des notes de tête. C’est ainsi que les notes graves nous apparaissent comme plus basses et, en même temps, comme plus larges que les notes aiguës. Nous ne faisons que transporter dans l’espace, en les appliquant aux sons, des rapports de dimension et de position entre nos organes. L’explication est ingénieuse et elle contient, sans aucun doute, une part de vérité, mais je ne crois pas qu’elle soit toute la vérité.

Descartes a dit en passant, dans l’une de ses Lettres, que les sons les plus graves étant plus amples étaient comme le fondement des sons plus aigus. Que devons-nous entendre par là ? Les fonctions principales de la vie, la digestion, la circulation du sang, la respiration, la locomotion s’accomplissent avec une grande lenteur si on les compare à la rapidité des vibrations sonores ou des vibrations lumineuses. Les mouvements mêmes des molécules chimiques qui entrent dans l’organisme, si rapides soient-ils, sont aisément dépassés par la rapidité des mouvements calorifiques. Une chaleur douce se répandant dans l’organisme en favorise toutes les fonctions, une chaleur violente en dissocie tous les éléments. Dès lors, on peut dire qu’une sensation aura d’autant plus de chances de s’accommoder à l’organisme tout entier qu’elle sera formée de mouvements plus lents. Elle n’est plus alors seulement en harmonie avec la partie la plus excitée et la plus mobile des nerfs, mais, dans une certaine mesure, avec l’organisme tout entier. La couleur rouge correspond aux vibrations les plus lentes, et, par là même, elle s’accorde mieux que toute