Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/239

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dans l’espace que nous sentons les odeurs. Leur origine est hors de nous dans l’espace, mais elles ne communiquent avec nous que par un contact tout matériel. De là, une indécision possible du sens. La bouche forme un système clos qui emprisonne la nourriture ; les narines donnent sur l’espace. De plus, il faut, pour dégager les sucs, un travail de mastication, de succion ; bref, un exercice de la bouche, qui lie nécessairement le sentiment de l’organe à la sensation de saveur et, par suite, localise strictement celle-ci. L’odorat, au contraire, est souvent affecté sans aucun travail des narines ou seulement avec une légère aspiration. Aussi la sensation du nez n’accompagne-t-elle pas aussi fortement les sensations de l’odorat. J’ai demandé à mes jeunes auditeurs où ils localisent les senteurs, si c’était dans le nez ou dans l’espace. Aucun d’eux n’a pu me répondre avec assurance ; ils ont tous été surpris du doute soudain où ils se trouvaient. À la réflexion et quand on s’observe, on s’aperçoit bien que c’est dans le nez ; mais cette attention même resserre le lien de la sensation et de l’organe, qui est un peu lâche d’habitude et qui laisse les senteurs un peu flottantes. Il y a un commencement de séparation. On ne les perçoit pas tout à fait en elles-mêmes comme les couleurs, mais on ne les perçoit pas nettement dans l’organe comme les saveurs.

La fonction esthétique des parfums consiste à établir une relation désintéressée entre nous et la vie même de cette terre dont nous sortons. Par la nutrition, nous sommes en relation avec la vie ; mais c’est une relation égoïste, brutale, et qui, sans la loi universelle de la mort qui l’enveloppe, serait odieuse. Par la lumière et la couleur, nous sommes bien en rapport avec tous les êtres que la terre produit ; nous en saisissons la forme,