Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/244

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nisme. Les philosophes qui cherchent à expliquer par un mécanisme d’association pourquoi nous percevons à distance le son et la lumière, sont étrangement superficiels. Ils n’ont jamais répondu, ou plutôt ils n’ont jamais songé à la petite difficulté suivante. Pourquoi, s’il suffit de constater par expérience que la cause de la lumière et du son est extérieure, pour percevoir à distance et localiser dans l’espace la lumière et le son, pourquoi aussi ne pas localiser à distance les parfums et la chaleur ? À mesure que nous avançons vers l’objet sonore et lumineux, la sensation de son ou de lumière augmente ; mais aussi, à mesure que nous avançons vers un buisson d’aubépine en fleur ou un massif de rosés, le parfum s’accroît. Il y a donc des raisons propres à l’ouïe et à la vue, qui nous font projeter dans l’espace la lumière et le son, comme il y a des raisons propres aux parfums et à la chaleur qui nous les font situer ou dans l’organisme ou à la limite de l’organisme ; et ces raisons, encore une fois, c’est que le parfum et la chaleur sont à des titres divers liés à la vie, c’est que la chaleur est l’aliment de la vie et que le parfum en est la tonalité ; c’est qu’au contraire, la lumière, qui manifeste l’universel, et le son, qui est une puissance d’expansion et de sympathie, ne peuvent pas être perçus dans les bornes d’un organisme particulier. Bien mieux, la lumière et le son, en se créant des organes spéciaux dans l’organisme, semblent se les être appropriés. Ces organes spéciaux, au moment même où ils fonctionnent, sont à peine sentis par nous dans l’ensemble de l’organisme. Lorsque nous entendons un son, nous n’avons presque aucun sentiment de tout le mécanisme organique de l’ouïe. Je crois bien qu’un enfant pourrait entendre longtemps sans se douter qu’il