Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/251

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L’image formée sur la rétine ne persiste qu’en se renouvelant, et, dès lors, pourquoi, dans cette profondeur cérébrale, la profondeur de l’espace ne se manifesterait-elle pas immédiatement ? Il restera toujours à expliquer pourquoi tel objet est perçu plus loin que tel autre ; mais la profondeur en tant que telle s’explique d’emblée, et c’est seulement si nous ne voyions pas les objets en profondeur, qu’il faudrait s’étonner. Je suis porté à croire tout simplement que si nous voyons un objet plus loin qu’un autre, c’est parce qu’il y a, entre cet objet et nous, une plus grande masse de lumière interposée et sentie par nous. On raisonne toujours comme s’il n’y avait pour nous, dans l’atmosphère, d’autre lumière que celle qui nous est envoyée par les objets sous forme d’images, et alors cette lumière étant supposée traverser le vide absolu, le néant absolu, tout l’espace compris entre l’objet et nous est comme nul pour notre conscience. Le rayon lumineux n’existe pour nous qu’au moment où il rencontre notre organisme ; l’espace intermédiaire qu’il vient de parcourir est supprimé et le sentiment immédiat de la profondeur devient impossible. Mais la lumière que nous envoient les objets sous forme d’image n’est qu’une lumière réfléchie. Il y a, dans l’atmosphère, la lumière directe du soleil et la lumière diffuse. Il n’y a pas un point de l’atmosphère qui n’envoie vers nous de la lumière diffusée ; et de ce que cette lumière ne nous parvient pas à l’état d’image, mais simplement à l’état de lumière, elle n’en est pas moins perçue par nous. Entre une journée morne et une journée splendide, ce n’est pas seulement l’éclat des objets particuliers et la netteté des formes qui font pour nous la différence, mais c’est l’espace même qui est ou pauvre ou saturé de lumière. Or, au moment même où