Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/270

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si nous aimons à entendre au loin le bruit des clochettes qui enveloppent le cheval du meunier, c’est que ces petites voix claires et métalliques ne nous disent rien de précis, rien d’humain, rien de social surtout. Elles disent ce qu’elles disent, et si elles ne sont pas monotones, c’est précisément parce que nous ne pouvons nous les traduire en langage humain. Cela leur donne quelque chose de futé et de gaiement moqueur ; mais cela même est insaisissable.

Est-ce à dire que la musique n’est qu’un enchaînement insignifiant de rythmes agréables ? Non, certes, car il n’est pas une seule sonorité qui ne soit expressive à sa manière. Il y a de l’âme dans les mines de cuivre et d’or qui dorment inconnues dans les profondeurs du sol.

Mais l’âme du métal, si je puis dire, est, relativement à la nôtre, très simple et comme extérieure à soi. Notre conscience est compliquée et repliée sur elle-même. Les choses simples ne font pas retour sur soi. Quand le métal vibre, évidemment il se traduit et s’exprime dans sa vibration ; mais pour qui se traduit-il ? Est-ce pour lui-même ? Mystère. Il y a, dans la voix humaine, une sorte d’intériorité ; on sent qu’elle est pénétrée de conscience. Il y a, au contraire, dans le timbre du métal, une extériorité étrange. On n’y sent pas un arrière-fond de conscience et de réflexion. Il n’y a guère que la première aliénation de la folie commençante, mais contenue encore, qui puisse nous donner une idée de cette vie étrange des choses. Je me rappellerai toujours Mounet-Sully dans le rôle d’Hamlet. Au moment où Hamlet se rend sur les murailles du château d’Elseneur, au rendez-vous donné par le spectre de son père, il se traîne dans une sorte d’épouvante, et tout à coup,