Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/324

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en tant que telle, n’est pas animée de tel ou tel mouvement de translation, mais ce mouvement elle peut le recevoir ; elle contient donc, mais non pas comme molécule, non pas comme force chimique, une puissance de mouvement illimitée. Qu’est-ce à dire ? c’est que toute forme définie a pour support des puissances indéfinies qu’elle ordonne et concentre partiellement, mais qu’elle ne peut ordonner et concentrer que partiellement. Toute âme active et définie a pour support une matière plus ou moins diffuse et indéterminée. Et il est nécessaire qu’il en soit ainsi, car toute partie de l’être infini est infinie, et si un acte quelconque épuisait jusqu’en leur fond les puissances infinies qu’il organise partiellement, cet acte serait infini, il serait Dieu. Si l’âme épuisait dans un acte de pensée ou d’amour l’énergie intime et totale de la substance cérébrale, cet acte de l’âme serait infini. Toute matière aurait disparu, toute puissance aurait été absorbée, l’âme serait un esprit pur et infini ; elle serait Dieu. Il faut donc qu’il y ait en tout être matière et esprit, sans quoi tous les êtres, dévorant à leur profit exclusif l’être universel qu’ils enveloppent, s’égareraient dans une sorte de délire divin. Mais que suppose en tout être cette coexistence de l’âme et du corps qui n’est ni une simple juxtaposition, ni une fusion complète ? Mon corps est mon corps, mais il n’est pas moi. Or s’il n’est pas moi, et qu’il soit pourtant uni à moi, mêlé à moi, la situation où je me trouve est équivoque et fausse. D’un côté cette matière unie à l’esprit est pour lui une servante et une amie, de l’autre côté elle est une étrangère. Dans quel état contradictoire et incertain va être le monde fait de matière et d’esprit ! Mais si mon corps, en même temps qu’il est mon corps