Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/357

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait hors de la question. Il tombe dans le vice qu’il a si souvent reproché à Descartes ; il confond la mathématique, science de l’abstrait, avec la métaphysique, qui est la compréhension du concret. L’espace étant la manifestation de l’être, on ne peut pas plus l’isoler du monde, qu’on ne peut isoler l’être de ses déterminations. Mais aussi cette impossibilité ne nous oblige pas plus à nier la réalité de l’espace que la réalité de l’être. Ainsi, non seulement notre doctrine sur la réalité de l’espace résiste à l’épreuve de la philosophie leibnizienne, mais elle y trouve une nouvelle confirmation, puisqu’elle supprime un problème factice que Leibniz créait dans l’intérêt de sa cause.

L’espace étant réel comme l’être, la lumière et l’ombre peuvent se jouer dans l’espace ; leur réalité subtile et fuyante se joue sur un fond d’immuable et intelligible réalité.

Tout ce que nous avons dit des sensations et de l’espace nous permet de traiter brièvement la question des qualités secondes et des qualités premières de la matière, ou plutôt cette question a déjà été traitée et résolue implicitement ; il nous suffit de faire ressortir la solution. Descartes, et beaucoup de philosophes après lui, considèrent l’étendue comme une qualité propre et essentielle des corps, ou, plutôt, comme l’essence même des corps, et, au contraire, ils ne voient dans le son, la lumière, la chaleur, la saveur, que des modifications de l’âme consécutives des mouvements de la matière. Cette doctrine est combattue, de deux côtés opposés, par ceux qui, comme Kant, réduisent l’espace à être subjectif, non point de la même manière que les sensations, mais enfin subjectif ; et par ceux qui, comme nous, accordent aux sensations, comme à l’espace, réalité et vérité.