Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/359

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est-il pas évident, au contraire, qu’elles ont un rapport intime et profond à l’être ? La science se flatte de retrouver la quantité, le mouvement et la mesure, jusque dans les nuances les plus délicates et les plus personnelles de la pensée et du sentiment ; soit. Lorsque mon cœur se réjouit tout bas d’une mélodie d’enfance entendue de nouveau, la science prétend ramener à l’indifférence du mouvement et la mélodie et mon émotion même, et elle met une sorte d’orgueil brutal à faire pénétrer, jusque dans les replis de mon âme, la banalité du calcul et la toute-puissance du mouvement ; et moi je dis, au contraire : ce n’est pas moi qui suis soumis au calcul, c’est le calcul qui m’est soumis ; ce n’est pas le mouvement qui se sert de mon âme, c’est mon âme qui se sert du mouvement, puisque, dans l’intimité mystérieuse de ses joies, elle reste, par lui, en communication avec l’être universel ; elle a les délices de la solitude sans en avoir les périls ; et le monde discret, qui ne trouble point sa rêverie, reste cependant lié à elle. Dire qu’il n’y a point science de la sensation en elle-même, c’est dire simplement que la sensation n’est point la quantité indifférente, et c’est bien là ce qui fait sa valeur ; mais, jusque dans son originalité, elle garde, par son rapport à l’être, la quantité pour base, et c’est ce qui permet la science des conditions mathématiques de la sensation. Il y aurait science de la sensation elle-même, si l’esprit pouvait, en partant de la seule idée de l’étendue et du mouvement, retrouver la sensation même, je veux dire la sensation vivante de son, de lumière, de couleur. Le mathématicien privé de tout sens, et réduit à la pensée pure, verrait peu à peu poindre de ses formules la clarté du soleil ; il entendrait, au bout d’une déduction, le premier bruit du vent qui se lève. Mais