Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/362

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les forces divines de son unité et qui soutenait les caprices des dieux de son immutabilité éternelle. Puis, quand l’âme éprise de vie intérieure, toute entière aux mystérieux entretiens de la conscience invisible et du Dieu invisible, dédaigna le sensible et voulut s’en affranchir, elle s’affranchit en même temps de l’espace, tout en lui donnant une poignante réalité. Ainsi, entre la contemplation des premiers hommes et la méditation intérieure des âmes chrétiennes, il n’y a pas continuité ; l’espace, qui est presque tout pour les uns, n’est presque plus rien pour les autres. Non pas, comme je l’ai montré, que l’âme chrétienne ne soit obligée parfois, comme un ressort qui se détend, de se répandre dans l’infini de l’espace ; mais c’est en quelque sorte par accident, c’est par le trop plein de la vie intérieure. Nous, au contraire, nous disons que c’est une nécessité rationnelle pour l’âme humaine, tantôt de se concentrer en soi, tantôt de s’ouvrir au dehors ; c’est une même vérité qu’elle retrouvera sous des aspects divers, et dans les profondeurs de son être intime et dans les hauteurs de l’infini visible. Qu’elle se recueille en soi ou qu’elle se déploie dans l’espace, elle trouvera toujours la même révélation sous des formes qui se complètent l’une l’autre. Ainsi, nous aurons réconcilié la contemplation primitive de l’homme adorant les forces divines dans l’espace, et la méditation toute spirituelle du chrétien. Pour moi, je n’ai jamais regardé, sans une espèce de vénération, l’espace profond et sacré, et lorsque, cheminant le soir, je le contemple, je me dis parfois que tous les hommes, depuis qu’il y a des hommes, ont élargi leur âme en lui, et que si les rêves humains qui s’y sont élevés laissaient derrière eux, comme l’étoile qui fuit, une trace de lumière, une immense et