Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/371

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actes coordonnés forment une unité infinie. C’est parce que le monde, par la liaison et la correspondance de ses éléments innombrables, par leur mouvement éternel vers une croissante harmonie, exprime et réalise l’unité infinie de l’être, qu’il est lui-même infini. Et par suite, chaque élément de l’univers est infini, en ce sens que sa faculté d’adaptation au tout n’est pas limitée, et qu’il fait partie intégrante, essentielle d’un système infini et un. Ce n’est donc pas dans l’ordre de la quantité que les forces déterminées du monde peuvent prétendre à l’infinité ; c’est dans l’ordre de l’harmonie. Il y aurait donc contradiction entre l’espace et l’univers, si l’espace recevait son infinité d’une addition indéfinie. Mais l’espace étant un infini d’unité, il exprime à sa manière et jusque dans l’ordre de la quantité indéfinie, l’infinité vivante de l’univers et de l’être, et cette correspondance nouvelle de l’espace et de l’être dans l’idée d’infinité ajoute à la réalité de l’espace et à la signification du monde visible.

Du point de vue où nous nous sommes élevés, nous pouvons comprendre et, je le crois, réfuter enfin toutes les difficultés que l’éléatisme a tirées de l’idée d’infini. Tout l’artifice de Zénon consiste à opposer l’infini de quantité, conçu comme indéfiniment divisible, à l’action. Pour aller d’un point à un autre, un mobile doit traverser la moitié de l’intervalle, puis la moitié de la moitié, puis la moitié de cette moitié, et ainsi de suite à l’infini : il n’arrivera donc jamais, et le mouvement est impossible. Je me demande comment ceux qui font de l’espace une pure extension quantitative, sans rapport intime et intelligible à l’être, peuvent résoudre cette difficulté : il y a, d’un côté, l’action, le mouvement, et, de l’autre, comme carrière de ce mouvement, la quan-