Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/65

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vement, ne serait plus pour nous qu’un mot : la science, en voulant expliquer la matière, sort sans s’en douter de la région de la matière. Elle est obligée aussi, qu’elle le veuille ou non, de sortir du vocabulaire matériel, et ce qu’elle appelle l’éther infini, immuable et un, elle est obligée, si elle veut se comprendre elle-même, de l’appeler l’être infini, immuable et un ; si bien que les analyses, tous les jours plus profondes, de la science aboutissent enfin à commenter la grande parole : In Deo vivimus, movemur et sumus. Car cet Être infini immuable et un qui sert de soutien et de substance de proche en proche à tous les mouvements du monde, c’est sinon Dieu tout entier, car nous ne le réduisons pas à n’être que la substance ultime des choses, mais tout au moins un aspect grandiose de Dieu. Lorsque Virgile et le Dante, après avoir parcouru tous les cercles des abîmes souterrains, voulurent retrouver les vivants, ils prirent une autre route que celle qui les avait amenés ; ils allèrent sortir d’un autre côté de la terre, et là le poète s’écrie : « Et nous revîmes les étoiles. »

Et nous, nous avions renoncé un moment à expliquer le monde par les seules clartés de la conscience et de l’esprit ; nous avions quitté un moment la belle et douce lumière des croyances spontanées. Guidés par la science, nous sommes descendus toujours plus avant, toujours plus bas dans les profondeurs de la matière ; et là aussi, dans ces abîmes redoutables où nous pouvions nous demander si tout n’allait pas se dissoudre en fatalité aveugle, nous avons trouvé des superpositions de mouvements, des cercles et des tourbillons ; et il se trouve qu’à l’extrémité même de ce long chemin intérieur et à l’ouverture opposée de ces abîmes, nous aussi nous revoyons les étoiles, nous revoyons la lumière