Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/88

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hors du mouvement ? Et si on nous objecte que, ramener la force au mouvement et fondre le mouvement avec l’étendue, c’est nier Dieu et l’âme, forces inétendues, nous répondrons que c’est par la plus fausse et la plus dangereuse spiritualité que l’on isolerait l’âme et Dieu de l’étendue. Dieu n’est pas inétendu, il est immense ; et quant à l’âme elle est heureusement dans l’étendue, c’est-à-dire qu’elle est plongée dans la puissance infinie de l’être. Car c’est par son contact à cette puissance infinie qu’elle peut agrandir et perpétuer son être propre. En vain supposera-t-on que l’âme, dans les actes appelés libres, crée des mouvements et qu’ainsi des mouvements possibles sont enveloppés dans des forces qui ne sont point elle-mêmes du mouvement. Outre que cette supposition est absolument arbitraire et inutile à la liberté, l’âme ne peut créer de rien un mouvement ; c’est avec de la puissance d’être, c’est-à-dire avec une quantité donnée d’être, qu’elle le produirait. Or, si elle comprend en soi l’être comme quantité, son activité s’exerce selon la quantité, et l’étendue qui en est le symbole ; elle est donc un mouvement, et ici encore il y a, non pas création mais transformation d’un mouvement ; ici encore le mouvement et la force ne font qu’un.

Ainsi la conception cartésienne subsiste en un sens tout entière ; la disproportion entre la force vive d’une masse en mouvement et le mouvement apparent de cette masse n’ébranle en rien la doctrine de Descartes. Lorsqu’un corps a une vitesse double d’un autre corps, c’est-à-dire lorsqu’il parcourt dans le même temps un espace double, il manifeste une puissance double de mouvement. Or, en fait, il a une puissance quadruple, car il communiquera à une masse donnée un mouvement