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HISTOIRE SOCIALISTE

lon soit entre eux un signe de discorde ou même un souvenir importun. Tant il est vrai que l’humanité ne retient que les colères et les haines qui la peuvent aider dans sa marche !

Mais en dehors de ces deux grands quartiers industriels la bourgeoisie parisienne a une activité diverse et multiple. L’alimentation donne lieu à un commerce immense : il entre dans Paris tous les ans quinze cent mille muids de blé, quatre cent-cinquante mille muids de vin, cent mille bœufs, quatre cent vingt mille moutons, trente mille veaux, cent quarante mille porcs. Les caves des marchands de vin occupent en sous-sol les trois quarts de Paris.

De vastes sociétés financières jouissant de privilèges plus ou moins étendus s’organisent pour l’approvisionnement de la Capitale : l’art de préparer les comestibles se raffina, et nos soldats retrouvèrent dans les magasins de Moscou les produits expédiés par les marchands parisiens. La boulangerie fait dans la dernière moitié du siècle des progrès extraordinaires. Une école de boulangerie gratuite et où enseignent des savants remarquables est fondée pour substituer à la routine les procédés scientifiques. « Le pain, dit Mercier, se fait mieux à Paris que partout ailleurs, parce que d’abord quelques boulangers ont su raisonner avec leur art. Ensuite les chimistes ont su nous, instruire à amalgamer le blé, et suivre cet art depuis la préparation des levains jusqu’à la cuisson ; et grâce à ces professeurs, le pain qu’on mange dans les hôpitaux est meilleur que celui qui est servi sur la table la plus opulente de la Suisse. » L’industrie du vêtement et de la chaussure se raffine aussi. « En 1758, j’ai payé trois livres quinze sous la même paire de souliers que je paye aujourd’hui en 1788 six livres dix sous. Le cuir est moins bon, mais la chaussure est plus élégante : le cordonnier qui sert le noble et le riche bourgeois, porte un habit noir, une perruque bien poudrée ; sa veste est de soie, il a l’air d’un greffier. » Mais c’est surtout dans l’industrie du bâtiment qu’il y a une activité merveilleuse et des progrès surprenants. Voici d’abord à ce sujet quelques indications et un tableau sommaire de Mercier, en 1785. « La maçonnerie a reconstruit un tiers de la capitale depuis vingt-cinq années. On a spéculé sur les terrains. On a appelé des régiments de Limousins. Le parvenu veut avoir des appartements spacieux, et le marchand prétend se loger comme le prince. Le milieu de la ville a subi les métamorphoses de l’infatigable marteau du tailleur de pierre ; les Quinze Vingt ont disparu, et leur terrain porte une enfilade d’édifices neufs et réguliers ; les Invalides qui semblaient devoir reposer au milieu de la campagne sont environnés de maisons nouvelles ; la vieille Monnaie a fait place à deux rues ; la Chaussée d’Antin est un quartier nouveau et considérable. Plus de porte Saint-Antoine. La Bastille seule a l’air de tenir bon, de vouloir épouvanter sans cesse nos regards de sa hideuse figure. Les grues qui font monter en l’air des pierres énormes environnent Sainte-Geneviève et la paroisse de la Madeleine.