Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/272

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
262
HISTOIRE SOCIALISTE

résistance. Plusieurs, dans l’Assemblée, hésitent encore à armer Paris, comme si Paris, en ces heures tragiques, n’était pas la Révolution elle-même ; mais la forte parole de Chapelier emporte les dernières timidités : « Vous avez à délibérer d’abord sur les troupes ennemies et étrangères qui assiègent un peuple bon et fidèle ; le sang coule, les propriétés ne sont pas en sûreté ; enfin le scandale des Allemands ameutés est à son comble. Il n’y a que la garde-bourgeoise qui puisse remédier à tous ces malheurs. L’expérience nous l’a appris : c’est le peuple qui doit garder le peuple. ». Guillotin, de retour à Paris, put dire à la bourgeoisie révolutionnaire qu’elle s’organisait avec le consentement de la nation. En même temps les districts obligent l’assemblée des électeurs à constituer un Comité permanent. Il est comme une combinaison de la municipalité légale et de la nouvelle municipalité révolutionnaire. Il est formé des huit membres alors en exercice du Bureau de la Ville et de quatorze membres désignés par les électeurs. Ce Comité a pour mandat de repousser l’invasion contre-révolutionnaire des hordes allemandes soldées par le roi.

Ce qu’il y a d’admirable à cette heure dans la bourgeoisie révolutionnaire de Paris, ce qui montre bien la légitimité historique de son avènement de classe, c’est son absolue confiance en elle-même. Elle ne craint pas d’être prise entre les révoltes de la misère et le coup d’État du roi. C’est en vain que quelques timides lui montrent là-haut, sur les sommets de Montmartre, une foule sordide de neuf mille ouvriers travaillant aux ateliers de charité. Elle n’a point peur que dans la secousse révolutionnaire, cet abcès de misère crève sur elle. Elle n’a pas peur de distribuer des armes : elle sait qu’elle est assez forte pour en surveiller l’emploi… Elle écarte, désarme tous ceux qui n’ayant point de propriété eux-mêmes ne donnent pas des garanties à la propriété, et dès le 14, Bancal des Essarts annonce à l’Assemblée nationale que la milice bourgeoise a désarmé beaucoup de particuliers. En pleine tourmente révolutionnaire elle donne à sa milice un caractère bourgeois, et elle sait que les prolétaires entraînés à sa suite n’élèveront pas un murmure : ils jetteront des pierres à la contre-révolution s’ils ne peuvent lui envoyer des balles. L’ambassadeur de Venise constate avec quelle rapidité et quelle décision la bourgeoisie parisienne a su en deux jours organiser tout ensemble l’action révolutionnaire et l’ordre bourgeois.

Dès la matinée du 14, tout le peuple de Paris, bourgeois, artisans, prolétaires, se préparait au combat. Un détachement de dragons avait traversé le faubourg Saint-Antoine et s’était approché des murs de la Bastille. Le peuple avait conclu que la Bastille allait devenir le centre d’un grand rassemblement militaire, la base d’opération d’une partie des troupes dirigées contre Paris : entre ces troupes et celles qui étaient massées aux Champs-Élysées, Paris serait écrasé. C’est donc une nécessité tactique qui tourne contre la Bastille les efforts du peuple. C’est aussi une vieille haine. Le